Lorsque nous avions interviewé Thierry Audel en février 2020 le football anglais était loin de se douter que les championnats allaient être à l’arrêt dans quelques semaines pour cause de COVID-19.
Extraits choisis d’une interview passionnante qui passe par Saint Marin, l’Italie et les divisions inférieures du football anglais. Le tout avec une sacré dose de volonté et d’amour du beautiful game. Thierry joue à Brackley Town FC (6e Division anglaise) après avoir écumé les différentes divisions du football anglais avec des clubs comme Macclesfield, Notts County, Crewe Alexandra, Lincoln County et bien d’autres!
Et avant que tu cherches sur Google, oui il y a un lien de parenté avec Johan Audel!
Bonjour Thierry - comment a commencé ta carrière de joueur pro?
J'ai commencé le football dans ma ville natale, à Nice. J'ai joué dans des petits clubs locaux et puis, à l'âge de 14 ans, j'ai signé à l’OGC Nice où mon cousin Johan Audel évoluait en équipe première. J'ai eu la chance d'être surclassé pour les entraînements et j'ai pu m'entraîner avec Hugo Lloris. A 16 ans je suis parti à Istres où j'ai fait mon année de formation - je jouais avec les 18 ans nationaux, ce qui m'a permis de jouer contre de bonnes équipes comme Montpellier, Monaco, Marseille et me faire repérer. Durant cette année là, il y a plusieurs clubs qui ont contacté mon père et mon agent dont l’AJ Auxerre . Et du coup, j'ai signé un contrat de 3 ans à la AJA parce qu'à l'époque, c'était le meilleur centre de formation de France. J'ai travaillé très dur - c'était vraiment pas facile à Auxerre, mais j'ai appris de grandes valeurs, non seulement en éducation, mais niveau football, niveau professionnalisme. J'ai pu grandir et me forger un caractère dans le monde du football et comprendre comment ça fonctionne. Après ces trois ans là, malheureusement, ils m'ont proposé un an de contrat amateur et de l'autre côté, il y avait La Triestina un club professionnel en série B (NDLR en Italie), qui me proposait trois ans de contrat. Je rêvais d'être professionnel donc, j'ai décidé de quitter la France pour aller en Italie où il y a eu vraiment des hauts et des bas. Je suis passé par un prêt à Saint-Marin. J'ai quand même pu jouer quelques matchs en Serie B et marquer un but avant de partir à Pise. Au début ça se passait super bien - j’ai joué une trentaine de matches avec mon ancien entraîneur Dino Pagliari, qui est devenu un ami. Après ça, il a été viré et un nouvel entraîneur arrivé. Encore une fois, ça m'a replongé dans une galère et j'en ai eu marre d'essayer de démontrer que j'avais le niveau et de ne jamais pouvoir avoir une chance d'avancer. Donc, j'ai tout quitté et j'ai pris un aller simple pour l'Angleterre tout seul, sans agent, sans rien.
En débarquant en Angleterre tu avais déjà des essais de prévu avec des clubs?
J’ai décidé d'aller déposer mon CV dans tous les clubs de Londres entre la Conférence, League 2, League 1, et Championship pendant ma première semaine. C'est ce que j'ai fait comme un fou en galère. Et puis, après une semaine, je me suis rendu compte que les gens ne s'intéressaient vraiment pas à mon CV ou mes vidéos. J'ai décidé de reprendre une semaine d'hôtel et d'aller voir les agences et agents de football. Mais dans tout ça, j'avais toujours pas de retour. Pendant toute cette période, j'allais tous les jours à la gym avec mon sac à dos et mes crampons, prêt à m'entraîner avec une équipe si on m'appelait - c'était vraiment l'aventure Un jour, j'ai rencontré une personne à la gym qui m'a demandé ce que je faisais ici. Je lui ai dit que, j'étais là pour trouver une équipe, que j’étais un joueur professionnel en Italie, mais que j'avais envie de tenter ma chance en Angleterre. Il m’a dit “ je connais quelqu'un à Brentford qui va pouvoir t'aider. Je te donne sa carte, tu le contactes.” J'ai contacté cette personne qui s'occupait d'une petite équipe à Londres, d'un niveau plus ou moins DH/PH .Il m'a dit de venir jouer un match avec lui et si ça se passait bien il me prendrait à l’essai. À ce moment là, je n'avais rien à perdre et tout à gagner parce que je pouvais finalement m'entraîner avec une équipe.J'ai fait un entraînement avec eux et joué un match et ça s'est très bien passé. Trois jours après, il me dit qu’il y avait un essai - Macclesfield contre Port Vale en match amical. J'ai accepté tout de suite. Je suis parti à l'essai avec Macclesfield et ça s'est super bien passé l'entraîneur m'a aimé et m’a proposé un contrat dans la foulée. Depuis je suis toujours en Angleterre!
Après 7 ans en Angleterre, j’imagines que ça te plait l’ambiance là- bas?
L'ambiance, est assez tranquille. En Angleterre, les gens sont très calmes, assez réservés. Chacun fait sa petite vie, donc c'est une ambiance qui me plaît, qui me correspond. Dans les divisions ou j’ai évolué - League One, League Two, Conference- il y a un peu de pression de temps en temps, mais il n'y a aucun manque de respect. Je n'ai pas peur de me faire casser ma voiture à la fin d'un match parce que on est en train de perdre pendant trois matchs d’affilé. J'ai vécu des choses comme ça dans le passé en Italie. En revanche, ici, les supporters sont vraiment derrière leur équipe même s'ils sont pas contents. Après, en termes de vie, bon, l'Angleterre, on sait tous que ce n'est pas la Côte d'Azur (Rires).Quand tu finis ton entraînement, t'as qu'une envie, c'est rentrer chez toi parce que t'as pas envie de rester dans le froid. Moi, j'ai grandi sur la Côte d'Azur du coup, c'est vrai que la lumière, la chaleur, c'est quelque chose à laquelle j'étais habitué. Après, ça fait quand même 17 ans que je suis parti de là bas donc on s’y fait!
Qu’est ce qui a été le plus dur pour toi en Angleterre?
Sans hésiter c'est mon aventure à Londres parce que ça m’a pris six mois pour avoir une chance sur un terrain anglais. Je n'avais pas des fonds illimités et je ne savais pas si j'allais réussir ou obtenir quelque chose. Mais j'étais prêt à prendre le risque. Je ne voulais pas retourner en Italie pour jouer au football. Je voulais absolument réussir en Angleterre, mais ce n'était pas facile parce que souvent, je me posais des questions et je me disais “Bon, est ce qu'il y a quelqu'un qui va me contacter”? Pour l’anecdote, pendant cette période galère j’ai reçu un coup de fil - c’était mon premier depuis des mois et je n'ai rien compris de ce qu'il m'a disait au téléphone à cause de son accent. À la fin de l’appel j’ai finalement compris qu’il s’était trompé de numéro. Ça m'a fait mal au cœur parce qu’après tous mes efforts, je pensais que finalement, peut être que quelqu'un s'intéressait à moi. Londres n’a pas été un moment facile dans ma vie. Et après, quand j'ai signé à Macclesfield, je m'en foutais complètement du froid et des conditions parce on me donnait déjà une chance.
Après toutes ces années en Angleterre - qu’est ce qui t’a le plus marqué?
Ce qui m'a marqué le plus en bien, c'est les supporters, l'amour du football, c'est une autre ambiance. C’est une ambiance que je regardais à la télé et que j’ai retrouvé dans les petites divisions. En cinquième division parfois, tu joues devant 3000 personnes et les gens chantent ton nom. J'ai vu des gens traverser le pays pour pouvoir supporter leur toute petite équipe, qui joue sous la pluie un mardi soir dans le froid. Les anglais, ils sont vraiment déterminés quand ils aiment leur équipe, et c'est beau à voir. Ça donne envie de se battre encore plus sur le terrain. Après, c'est vrai que quand tu dois jouer le mardi soir dans le froid, c'est difficile.Dans les divisions inférieures les terrains sont pas vraiment praticables parce que, bien évidemment, en Angleterre, il y a beaucoup de pluie. Souvent tu joues sur des terrains glacés au mieux sur des terrains complètement boueux. Les équipes ne jouent pas vraiment sur des synthétiques donc en hiver, c'est un peu la galère.
Tu as joué dans plusieurs coins d’Angleterre - c’était pas trop dur de s’intégrer avec les différents accents?
Je faisais de l'anglais à l'école, mais je n'étais pas vraiment bon pour être honnête. Le fait d'avoir appris l'italien m'a aidé à comprendre la structure d’apprentissage d'une langue. Donc, quand je suis arrivé en Angleterre, je savais par où passer. Je savais ce qu'il fallait faire pour pouvoir accélérer le rythme de compréhension. Après, selon la ville où tu vis c'est vrai qu'il y a des accents radicalement différents, donc ça ralentit un peu le processus de temps en temps. Parce que bon, voilà il y a des accents comme Liverpool, Sheffield c'est beaucoup plus difficile à comprendre que Londres ou Manchester. Mais je dois dire que je me suis quand même bien intégré. Au bout d'un an, j'étais capable de m'exprimer tranquillement et de comprendre même si l'apprentissage d'une langue, c'est un processus continu.
On connaît tous les salaires mirobolants de Premier League - vous gagnez bien votre vie dans les autres divisions?
Niveau argent, un footballeur ne communique jamais les sommes qu'il gagne, mais en tout cas, je peux dire que j'ai eu de la chance d'avoir trouvé des bons salaires ici et de maintenir un niveau de vie que j'avais commencé en série B et malgré le fait que j’ai joué dans plus petites divisions par la suite. Ça m'a permis d'acheter ma maison ici en Angleterre, près de Leicester. Mais voilà, après, si j'avais joué en Championship , c'est sûr que ça aurait été un autre type de carrière niveau économique, niveau prestige mais je peux pas me plaindre.
Comment juges tu le niveau footballistique anglais que tu connais par rapport à la Série B par exemple?
Le niveau en Angleterre dans les petites divisions, c'est très physique. Le jeu français est plus technique. Le jeu italien que j'ai connu, c'est beaucoup plus tactique. Je suis content d’avoir connu ces trois championnats, même si en France, c'était pas au niveau professionnel. Et je suis content de pouvoir mixer mon football parce que ça apprend beaucoup de choses. Moi, je n'ai jamais été fan de la tactique, mais je dois dire que quand je suis parti de l'Italie pour aller en Angleterre, ça m'a beaucoup aidé pour la lecture du jeu. Pour mon positionnement sur le terrain et aussi pour économiser mon énergie en faisant que des mouvements intelligents. La technique en France, ça m'a beaucoup aidé aussi parce que ça me permet de faire la différence, que ce soit en Italie ou en Angleterre en tant que défenseur central. Ici, il ne faut pas avoir peur du challenge quand on est sur le terrain parce que si on a peur, c'est sûr qu'on va se prendre des coups. C'est un niveau différent que je voulais connaître et je pense que c'est quelque chose à connaître en tant que footballeur.
Super! Histoire mirobolante! <3 Quel courage!